Anomalies dans la prise en charge des enfants vulnérables

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Selon les statistiques du ministère togolais de l’Action Sociale, de la promotion de la Femme et de l’Alphabétisation publiés en avril 2016, plus de 6 000 enfants vulnérables dont 43% de garçons et 56% de filles sont accueillis dans environ 145 orphelinats répartis sur l’ensemble du territoire national. Soit 0,2 % de l’effectif des enfants de 0 à 18 ans au Togo. Ces structures doivent fonctionner selon des normes définies par le gouvernement mais l’audit de certains centres d’accueil révèle des inadéquations relatives aux infrastructures, à la qualité du personnel, à la prise en charge en général et à la légalité d’exercice.

Selon l’arrêté N°027/MASSN du 23 novembre 2012 portant composition du dossier d’ouverture d’un centre d’accueil des enfants vulnérables au Togo, une demande d’agrément d’ouverture d’un centre d’accueil d’enfants vulnérables introduite par un promoteur, personne physique ou morale doit comporter un dossier technique et un dossier personnel. Le dossier, une fois composé, doit être déposé au cabinet du ministère chargé de la protection de l’enfant. Selon le même arrêté, la délivrance de l’agrément est subordonnée à un rapport d’enquête après dépôt de dossier, par les services déconcentrés du ministère chargé de la protection de l’enfant de la zone d’implantation du centre et des ministères concernés. Dans ces centres, ne sont accueillis que des enfants démunis, vulnérables ou encore orphelins. L’identification de ces enfants jugés en danger ou en situation difficile repose sur un double système. A Lomé, et à l’échelle de la région Maritime, le repérage s’appuie sur la conjonction d’une ligne verte nationale dédiée au signalement d’enfants en danger et en risque et d’un centre de référencement public, chargé de l’accueil en urgence, de l’évaluation et de l’orientation des enfants. Dans le reste du pays, les travaux conduits dans le cadre de l’analyse du système de protection de l’enfant au Togo ont permis de mettre en évidence l’existence de pratiques fondées sur une résolution essentiellement intracommunautaire des cas de violences intrafamiliales et de maltraitance des enfants.

D’un constat général, la saisine des forces de l’ordre et de sécurité (Police, Gendarmerie), des autorités compétentes (juge des enfants, Action sociale) ou encore des ONG spécialisées en matière d’aide à l’enfance est envisagée en dernier ressort. Selon Mme Bénédicte Gnansa, directrice de l’assistance à l’enfant, « les raisons principales de placement des enfants varient d’une structure ou d’une organisation à une autre, selon son groupe-cible ». Les centres d’accueil dans leur fonctionnement devraient assurer entre autres : les services de transit pour les enfants en vue d’une réorientation ou d’un retour en famille, d’hébergement vers la réinsertion dans la famille, ou encore d’hébergement en vue de l’insertion socio-professionnelle à l’âge adulte, généralement avec une école ou une offre de formation en interne, comme des centres d’apprentissage. Des pratiques illégales? L’ensemble des orphelinats accueillant des enfants vulnérables au Togo n’opère pas tous dans la légalité ou du moins ne respecte pas plusieurs dispositions de la loi portant leur création et fonctionnement. De nos enquêtes, il ressort que certaines ONG et Associations ou églises s’érigent clandestinement en Orphelinats sans obtention d’Agrément du ministre de l’Action sociale.

Ainsi recrutent-elles pour accompagnement des enfants des proches de familles ou des personnels non-qualifiés. Manquant de qualification ou d’aptitudes, ces derniers violentent quelque fois les enfants qui nécessitent au contraire une prise en charge particulière. « Certains créent des orphelinats ou centres d’accueil et prétextent d’un soi-disant appel de Dieu pour aider les personnes démunies. D’autres aussi créent ces centres pour abuser des personnes et institutions disposées à aider les démunies ou des enfants vulnérables sans famille », confie avec regret le premier responsable d’un centre d’accueil de référence à Lomé qui soutient de même que « la prise en charge dans ces centres est loin de protéger au minimum le droit des enfants ». Avec un manque de rigueur des structures qui ont la compétence de suivi par faute de moyen ou encore de personnel, les centres d’accueil se prévalent réunir toutes les compétences et ignorent de définir distinctement le public visé. « L’absence de définition ou la définition trop englobante du public visé assortie à l’absence de procédure d’admission formalisée ne permet pas de vérifier l’adéquation du profil de l’enfant cible de la structure », confie Mme Gnansa. De fait, selon la réglementation en vigueur, un enfant ne peut être admis dans un centre d’accueil qu’avec la signature d’une autorisation par le Juge pour enfant qui s’assure de cette nécessité après étude. Ce qui semble être ignoré par les promoteurs de ces centres d’accueil. De même, l’on remarque une très faible articulation entre les centres, l’action sociale dans les préfectures et le Juge pour enfant. Ainsi, l’admission des enfants dans les centres n’est que très rarement notifiée à l’Action Sociale et ne fait que très peu l’objet d’une Ordonnance de placement du Juge. Cette pratique se révèle contraire aux exigences de l’article 4 du décret fixant les normes et standards applicables aux structures d’accueil et de protection des enfants vulnérables au Togo qui prévoit que « chaque structure d’accueil doit veiller à ce que, dans toutes les interactions avec l’enfant, les familles et les communautés, l’intérêt supérieur de l’enfant soit pris en compte ».

Cet état des lieux corrobore les résultats d’un audit commandité par le ministère de l’Action Sociale et l’UNICEF, réalisé par le cabinet d’études ENEIS Conseil en 2015 sur le fonctionnement des centres d’accueil des enfants vulnérables au Togo, prenant en compte aussi bien l’admission dans le centre, que l’accompagnement éducatif, les conditions de vie au quotidien (alimentation, sécurité, locaux). L’Etude révèle que sur 120 centres audités, seuls 19 sont performants; 55 autres centres sont perfectibles et 46 épinglés comme des centres problématiques à fermer. « Parmi les 46 centres problématiques, le fonctionnement de 34 centres doit être fortement amélioré mais il conviendrait de fermer les 12 autres « centres maltraitants » dont l’audit pose notamment des questions rédhibitoires de sécurité des locaux, d’alimentation des enfants et surtout de mise en danger de ces derniers », conclut l’audit. Des faits et chiffres qui révèlent des dysfonctionnements dans les centres d’accueils des enfants vulnérables. Protéger les enfants Les enfants accueillis dans les centres doivent être traités avec respect et dignité. Ainsi, tous les acteurs impliqués que ce soit l’Etat, les partenaires et les promoteurs des centres d’accueils doivent veiller à un bon fonctionnement et une bonne prise en charge des enfants vulnérables. Ainsi, les centres présentant des dysfonctionnements devraient être fermés ou mis en demeure de remédier aux différents manquements repérés avec une réorientation des enfants accueillis dans lesdits centres défectueux vers les centres situés à proximité dont le fonctionnement apparaît plus satisfaisant et s’inscrit dans les normes et standards.

Selon les recommandations de l’étude de l’ENEIS, l’Etat devra aussi structurer le pilotage et le contrôle de l’offre nationale d’accueil avec la mise en place d’un comité du suivi dédié à la qualité de l’accueil. Pour un meilleur suivi des centres d’accueil pour le respect des normes et standards, l’Etat devrait créer un corps d’inspection des centres d’accueil. Ce corps se chargerait entre autres, de réaliser des évaluations des centres sur l’ensemble du territoire. Pour une meilleure prise en charge, l’on devrait accompagner l’amélioration des pratiques éducatives au sein des centres d’accueil et d’hébergement en renforçant la qualification des intervenants sur la base d’un diagnostic des besoins en formation. Techniquement, il faudrait structurer l’observation continue du dispositif en construction des outils de suivi-évaluation pour améliorer l’adéquation des réponses. Vers une réduction des centres d’accueil ? Face aux défis qui se posent en matière de prise en charge des enfants vulnérables dans les centres d’accueils au plan national et suivant les lignes directrices des Nations Unies, l’on préconise à la direction de l’assistance à l’enfant une option de placement des enfants dans des familles d’accueil.

Ainsi, dans sa nouvelle démarche, la direction de protection de l’enfance devrait veiller à ce que les centres d’accueil soient le dernier recours pour les enfants en danger ou vulnérables. Ils ne devraient exister que pour des cas d’urgences. Au surplus, les enfants ne doivent y être admis que pendant une courte durée.