Après un premier mandat axé sur l’apaisement du climat socio-politique et la réconciliation nationale, le Chef de l’Etat Faure Gnassingbé a mis au cœur des mandats suivants la politique des grands travaux, en vue de la reconstruction du pays, qui a beaucoup souffert du manque d’infrastructures . De fait, en une décennie ce sont notamment près de 800 kms de routes qui ont été réhabilitées, renforcées, aménagées ou construites, tandis que d’autres sont en cours d’exécution. Coût total : plus de 1000 milliards FCFA selon les chiffres du ministère des Infrastructures et des Transports. Une enveloppe essentiellement partagée entre les multinationales aux dépens des entreprises locales ; et pas nécessairement à juste titre selon ces dernières.
C’est un sujet que rumine le milieu des bâtiments et travaux publics ( BTP) dans notre pays. Même si elles ne provoquent pas de grands clashs avec les autorités publiques, les entreprises nationales dénoncent le faible soutien dont elles bénéficient de la part de l’Etat, qui privilégierait les multinationales ou sociétés étrangères dans l’attribution des marchés les plus importants.
De fait, la construction du contournement de la faille d’Alédjo dont le financement est estimé à plus de 35 milliards de FCFA, a été exécutée par la Société Nationale Chinoise des Travaux de Ponts et Chaussées (SNCTPC), celle du chantier du grand contournement de Lomé de 14,1 km pour un coût de 34 milliards FCFA, par l’entreprise chinoise China Road Bridge Corporation (CRBC), ou encore récemment la route nationale n°5 Lomé-Kpalimé à 214 milliards FCFA confiée au Burkinabé Ebomaf.
Les nationales se contentent des « petits travaux » , comme Midnight Sun Group sur l’ouvrage des tronçons Notsé-Tohoun-frontière du Bénin (58 km) sur la nationale N° 6, l’aménagement et le bitumage du tronçon de 5 km à partir de la frontière avec le Bénin à hauteur de 35 milliards FCFA ; Centro S.A pour la route Kouméa – Pya – Tcharè – Lassa – Soumdina pour un total de 50 Km à 23,6 milliards FCFA. « Ceci témoigne que la part du lion est offerte aux entreprises étrangères » regrette ce dirigeant d’une société de BTP.
« Nul n’est prophète chez soi »
Ce dicton résume la situation des entreprises togolaises de BTP.
Pour la plupart de leurs responsables, elle est due au manque de volonté des autorités de promouvoir des championnes locales mais également de la remise en cause des compétences et capacités de celles-ci. « L’Etat rechigne à confier les grands travaux aux Togolais. Pourtant, les étrangers auxquels il fait appel ne font pas mieux que nous » dénonce Seidou Komla, président de Groupement national des entreprises de bâtiments et travaux publics (GNEBTP).
Ce syndicaliste et chef d’entreprise cite l’exemple d’EBOMAF qui a abandonné le chantier du tronçon Dapaong-Naki-Est, et s’est vu malgré tout attribuer le marché encore plus juteux de la route Lomé-Kpalimé. Il balaie du revers de la main l’argument selon lequel les entreprises togolaises n’auraient ni le capital ni la surface financière suffisante pour réaliser ces travaux : « on peut partir d’un petit capital pour devenir une grande entreprise si on a régulièrement le marché », soutient-t-il. Il bat en brèche l’idée que les entreprises étrangères ou multinationales préfinanceraient les marchés; ce que les locales n’arriveraient pas à faire.
« Aucune entreprise ne finance sur ses fonds propres les travaux pour être remboursée plus tard. Elles font plutôt des prêts auprès des banques avec l’Etat comme caution » explique-t-il. C’est le cas des travaux de la nationale n°5 Lomé-Kpalimé en cours et confiés à EBOMAF à hauteur de 214 milliards de francs CFA. « L’Etat aurait pu faire confiance aux entreprises de BTP togolaises en les cautionnant également », réagit le patron d’une société de BTP national qui a requis l’anonymat. Pour lui, les marchés dit préfinancés pénalisent les entreprises togolaises qui ne bénéficient pas des mêmes soutiens publics auprès des institutions financières.
A la GNEBTP, on accuse par ailleurs l’Etat de consacrer une enveloppe moins importante pour les travaux lorsqu’il s’agit des entreprises locales. « Pour la réalisation d’un mètre de caniveau, une entreprise nationale est payée 54.000 FCFA contre 190.000 FCFA par exemple pour une multinationale », dénonce-t-il.
Pour lui, le cas CECO-BTP que mettent en avant certains ne fut que l’arbre qui a caché la forêt. « La polémique autour de CECO n’est pas fondée, d’autant plus que les raisons de son échec sont à rechercher ailleurs que dans les discours servis par les médias » insiste-t-il.
Peu sollicitées sur le plan national, les entreprises locales le sont encore moins dans la sous-région. Les rares annoncées sur des chantiers dans les pays voisins seraient en réalité des sous-traitants. Et pour cause. L’accès à ces marchés est complexe. « Les conditions d’attribution des marchés aux entreprises étrangères sont compliquées. Les togolaises qui sont en difficulté chez elles ont donc de faibles chances de remplir ces conditions pour espérer gagner les marchés », explique Seidou Komla.
« Pour gagner un marché dans un pays de la sous-région, il faut être en groupement avec une entreprise locale. A défaut, ce sera de la sous-traitance » détaille ce chef d’entreprise, qui regrette que ce principe ne soit pas appliqué chez nous pour promouvoir et valoriser les sociétés de BTP nationales.
Economie en danger
De fait, le GNEBTP pointe du doigt le ministère des Infrastructures et des Transports, ministère de tutelle des entreprises de BTP, comme le premier responsable de la situation. « Depuis Gnisao Gnofam jusqu’à Zouréhatou Tcha-Kondo Kassah, aucune rencontre n’a été organisée avec les acteurs de notre secteur en vue d’une meilleure organisation », regrette Seidou, qui déplore également l’absence de classification des entreprises de BTP, voulue par les acteurs mais qui est toujours en suspens. « Cette classification vise pourtant à identifier chaque entreprise dans sa spécialité dans la soumission aux appels d’offre», a relevé l’entrepreneur.
Au fond, ce qui est en jeu va au-delà de la question d’attribution de marchés. Il s’agit également de la création et du maintien des emplois, plaide le GNEBTP. « Sur un marché, l’entrepreneur a besoin d’un juriste pour suivre son dossier, un comptable pour la comptabilité, des ingénieurs, des architectes et même des non diplômés comme ouvriers », explique Seidou. Autant d’opportunités qui partent en fumée avec les entreprises étrangères qui ne recrutent essentiellement que des ouvriers locaux.
Plus généralement, le GNEBTP estime que cette situation met en péril l’économie nationale. « Nos entreprises se meurent un peu plus chaque jour, alors que c’est un secteur en plein boom avec un chiffre d’affaires de plusieurs milliards. Aujourd’hui, ce sont les multinationales qui viennent les ramasser pour aller investir dans leur propre pays » avertit Seidou Komla. « Le jour où celles-ci qui contractent des crédits dans les banques locales feront faillite, c’est tout le Togo qui en subira les conséquences » prévient-t-il.