Etat d’urgence : mode d’emploi

0
1686
Depuis le 02 avril,  et pour la première fois depuis les troubles socio-politiques des années 90, un couvre-feu est instauré au Togo de 20h à 06h. C’est l’une des conséquences de l’état d’urgence sanitaire décrété  par Faure Gnassingbé dans son adresse à la nation le 1er avril dernier. Pour le Chef de l’Etat, cette disposition se justifie par « l’ampleur du malheur qui frappe notre pays ».   Quels sont le régime et la portée de cette disposition exceptionnelle ? Mode d’emploi.
L’état d’urgence est une mesure prise par un gouvernement en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, quelles que soient leur nature et leur forme ou en cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique. L’alerte peut porter sur un risque sérieux, d’une menace grave, d’une crise ou d’une catastrophe naturelle, écologique, environnementale, médicale, sanitaire, alimentaire, économique, financière, humanitaire, migratoire ou sociale.
Il s‘agit donc de la survenance de circonstances exceptionnelles, extrêmes, imprévisibles, conduisant un État à une restriction des lois réputées démocratiques et jugées insuffisantes pour faire face au danger public en cours ou imminent, contrairement aux normes de l’État de droit courant.  La mesure peut porter sur tout ou partie de son territoire et pour une durée déterminée. Certaines libertés fondamentales peuvent être restreintes, comme la liberté de circulation ou la liberté de la presse.
Au Togo, l’état d’urgence est prévu par l’article 94 de la Constitution qui donne compétence au Président de la République de le décréter.
Il s’agit d’une mesure d’exception qui renforce les pouvoirs des forces de l’ordre. L’état d’urgence confère aux autorités civiles (et non militaires) des pouvoirs exceptionnels.
Cette situation doit être distinguée de l’état de siège qui instaure un transfert de pouvoir des autorités civiles aux autorités militaires. Autrement dit, il revient à l’armée d’assurer la sécurité des citoyens à la place des forces de sécurité. Elle est aussi différente de l’état de guerre qui entraine la déclaration officielle de guerre sur l’autorisation de l’Assemblée nationale voire des circonstances exceptionnelles.

L’état d’urgence en portée

En tenant compte de la menace et aux seules fins de préserver, garantir ou rétablir l’ordre public, le président de la République peut, par décret en conseil des ministres, sur le rapport du ministre concerné, porter légitimement des atteintes substantielles aux droits et libertés. Il peut s’agir sans être limitatif de restriction ou interdiction de circulation des personnes, sous réserve des déplacements justifiés par des besoins impérieux familiaux, professionnels ou de santé.

Il peut aussi ordonner des mesures de placement et de maintien en isolement des personnes, à leur domicile ou à tout autre lieu d’hébergement adapté ; ordonner la fermeture provisoire d’une ou plusieurs catégories d’établissements recevant du public, à l’exception des établissements fournissant des biens ou des services essentiels aux besoins de la population.
De la même façon, il peut limiter ou interdire les rassemblements sur la voie publique ainsi que les réunions de toute nature.
De plus, il peut ordonner la réquisition de tous biens et services nécessaires à la lutte contre le risque, la menace, la crise ou la catastrophe sanitaire, l’épidémie ou la pandémie ainsi que de toute personne nécessaire au fonctionnement de ces services ou à l’usage de ces biens. De même, il peut prendre des mesures temporaires de contrôle des prix de certains produits nécessaires pour prévenir ou corriger les tensions constatées sur le marché de certains produits .
Pour autant, l’état d’urgence ne se confond pas avec une théorie de l’État d’exception qui ferait presque automatiquement glisser les démocraties vers un autre régime : autoritarisme, totalitarisme, « démocrature » ou démocratie « illibérale ». Les mesures sont strictement proportionnées aux risques encourus et appropriées aux circonstances de temps et de lieu. Il y est mis fin sans délai lorsqu’elles ne sont plus nécessaires.
En effet, la protection des libertés publiques étant un domaine constitué (relevant de la constitution), il serait hasardeux de glisser vers la limitation de l’exercice de ces libertés sans une architecture légale ou réglementaire bien claire et solide. Fondamentalement, seule l’Assemblée nationale peut limiter l’exercice des droits fondamentaux à travers une loi. C’est ainsi que la représentation nationale doit être régulièrement tenue informée des mesures prises et surtout être saisie à la fin de la situation d’urgence aux fins de leur ratification. Bien plus, elle  se réunit de plein droit lorsqu’elle n’est pas en session. Elle devra autoriser par ailleurs la prorogation de l’état d’urgence au-delà de 15 jours. Autre garantie : le Parlement ne peut être dissous pendant la durée de l’état d’urgence.
L’état d’urgence sanitaire et état d’exception
Il est lié au « cas de catastrophe sanitaire, notamment d’épidémie mettant en jeu par sa nature et sa gravité, la santé de la population ». Le Code de la santé publique prévoyait jusque-là, « en cas de menace sanitaire grave », que seul le ministre chargé de la santé pouvait prendre « toute mesure proportionnée aux risques ».
Certes, pour prendre en compte la dimension nationale avec la mise en place d’un régime d’exception liée à une urgence sanitaire qui peut restreindre les droits et libertés des individus, il revient au président de la République de déclarer l’état d’urgence sanitaire sur la base du rapport du ministre chargé de la santé.
Par ailleurs, et en application de l’article 86 de la Constitution, le Gouvernement peut demander à l’Assemblée nationale l’autorisation de prendre par voie d’ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Le recours aux ordonnances permet donc au Gouvernement d’agir plus rapidement tout en respectant les droits du pouvoir législatif.
M. Efoe Kini, Docteur en Droit Public,Assistant à la Faculté de Droit