Grâce présidentielle : Des interrogations sur le respect du principe de la séparation des pouvoirs

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Le 30 janvier dernier, le Chef de l’Etat a ordonné la poursuite des mesures d’apaisement du climat politique, comme le gouvernement s’y est engagé auprès de la Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). A cet effet, aux termes du communiqué sanctionnant le Conseil des ministres, Faure Gnassingbé a décidé d’accorder la grâce présidentielle à 18 détenus déjà jugés et condamnés. Il a par ailleurs instruit le gouvernement aux fins de la mise en liberté provisoire de 26 autres en lien avec la crise politique. Si les familles des concernés saluent évidemment les mesures, de même que la société civile et les organisations de défense des droits de l’homme, elles posent cependant des questions sur le principe de la séparation des pouvoirs, en ce qui concerne notamment la liberté provisoire accordée sur instructions de l’Exécutif.

Ce sont au total 44 personnes détenues dans les prisons civiles du Togo, en lien avec la crise sociopolitique qui recouvrent leur liberté. Il y en a notamment 18 jugées et condamnées, purgeant leur peine dans les prisons civiles de Mango et de Sokodé, qui bénéficient de la grâce présidentielle. 26 autres, faisant l’objet d’informations judiciaires pour des faits criminels, relevant des prisons civiles de Mango, Bafilo, Sokodé et Lomé, sont mises en liberté provisoire.

Pouvoir discrétionnaire: La mesure de grâce, dont par ailleurs use souvent le Président de la République à l’occasion des fêtes de fin d’année ou de la fête de l’Indépendance, est un pouvoir discrétionnaire prévu par l’article 73 de la Constitution togolaise. Comme dans la plupart des pays, elle permet au Chef de l’Etat de réduire la durée de la peine d’emprisonnement d’un condamné. Elle permet par voie de conséquence au prisonnier qui en fait l’objet d’être libéré avant d’avoir purgé la totalité de sa peine. C’est un pouvoir exclusivement réservé au Président de la République, qui n’est pas tenu de motiver sa décision, qu’elle soit favorable ou non au condamné. Contrairement à l’amnistie, la grâce présidentielle ne fait pas disparaître la condamnation.
Pour bénéficier d’une grâce, la personne doit avoir fait l’objet d’une condamnation pénale à la suite de laquelle une peine a été prononcée (emprisonnement ou amende par exemple). Sont par exemple concernés les peines de prison, les amendes ou les travaux d’intérêt général. Les sanctions administratives ne sont pas en revanche concernées. La seule condition est que la peine soit définitive et exécutoire. C’est-à-dire que tous les recours (appel ou pourvoi en cassation par exemple) doivent être épuisés. Pour faire l’objet d’une grâce, il faut en faire la demande auprès du Président de la République. Cette requête peut être adressée par le condamné, son avocat ou le procureur. Mais aussi par une personne morale (par exemple une association) ou un proche. En cas d’accord, le chef de l’Etat y appose sa signature, après avis du Conseil supérieur de la magistrature. La grâce dispense seulement d’exécuter la peine en totalité ou partiellement. Elle peut aussi remplacer la peine initiale par une peine moins forte. La grâce est donc sans effet sur la décision de condamnation, qui figure toujours au casier judiciaire. La grâce n’ayant pas supprimé la décision de
condamnation, celle-ci peut encore faire l’objet d’une procédure de révision. La grâce ne fait pas obstacle au droit, pour la victime, d’obtenir réparation du préjudice causé par l’infraction. La grâce présidentielle n’est pas à confondre avec l’amnistie : si toutes deux peuvent se traduire par une réduction ou une suppression de peine, il existe au moins quatre différences importantes. D’abord, la grâce fait partie des prérogatives du président de la République alors que l’amnistie doit être votée par le Parlement. Ensuite, en plus de la suspension de peine permise par la grâce, l’amnistie efface la condamnation du casier judiciaire. Une personne amnistiée est donc considérée comme innocente par la justice. En outre, la grâce concerne un condamné en particulier alors qu’une loi d’amnistie s’applique à toute une catégorie d’infractions. Enfin, une personne amnistiée n’est pas prévenue personnellement (à la différence d’un condamné gracié).
Séparation des pouvoirs. Si la grâce accordée aux détenus le 30 janvier dernier est conforme donc aux textes, la liberté provisoire dont a fait cas le conseil des ministres pose davantage de questions. En effet, le communiqué issu de celui-ci informait que « le Président de la République a expressément demandé à l’autorité judiciaire de faire mettre en liberté provisoire, les personnes faisant l’objet d’une procédure d’information judiciaire pour des faits criminels, en prenant toutefois soin de préserver les droits des victimes s’agissant de la suite des procédures engagées. Il faut noter que la liberté provisoire s’entend la remise en liberté de personnes placées en détention, à la suite d’un mandat du juge d’instruction, du procureur de la République
ou d’une juridiction de jugement. Elle peut également désigner le maintien en liberté d’une personne qui aurait pu être légalement placée en détention. Elle s’oppose ainsi à la détention préventive, c’est-à-dire à l’incarcération d’un individu mis en examen pour crime ou délit avant le prononcé du jugement. Aussi, la détention d’un individu peut prendre fin par une décision de mise en liberté prise d’office par le juge d’instruction, notamment lorsque la détention excède une durée raisonnable. Le procureur de la République peut également requérir à tout moment la mise en liberté du détenu. Celleci peut également être décidée par la chambre de l’instruction (juridiction d’instruction du second degré).
Le plus souvent, la détention prend fin suite à une demande de mise en liberté présentée par le détenu ou son avocat, et acceptée par le magistrat compétent : juge d’instruction, juge des libertés et de la détention (comme c’est le cas en France), chambre de l’instruction. De fait, si le Chef de l’Etat peut demander au Garde des Sceaux, ministre de la Justice, chef du ministère public, d’instruire le Procureur de la République de requérir la mise en liberté provisoire des prévenus, le juge d’instruction, magistrat du siège et indépendant, n’est pas en principe tenu de le suivre. Certes, le Procureur relevant du parquet, corps hiérarchisé et dépendant du ministre de la Justice, peut, sur ordre de ce dernier, ordonner la cessation des poursuites tant qu’il n’y a pas encore eu condamnation. Mais la libération des prévenus ne peut être décidée en principe que par juge. En clair, seule la décision d’un juge pour rendre opérationnelles les mesures annoncées par le gouvernement, qui ne devraient relever que du souhait.