Hôpital psychiatrique de Zébé : difficile réinsertion des patients

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Hôpital psychiatrique de Zébé
A l'intérieur de l'Hôpital psychiatrique de Zébé . Photo/CharlesKolou

Chaque 10 octobre, est célébrée, la journée mondiale de la santé mentale. En ce jour commémoratif, nous vous amenons; à travers ce dossier spécial; au centre psychiatrique de référence de Zébé-Aneho. Hôpital psychiatrique de Zébé, un hôpital spécialisé dans la prise en charge des maladies mentales. 

Dossier Grand Format signé, Charles KOLOU

Etablissement à caractère Administratif (EPA), doté de personnalité morale et de l’autonomie financière, l’hôpital psychiatrique de Zébé-Aného (environ 50Km à l’Est de Lomé), est le centre de référence spécialisé dans la prise en charge des personnes souffrant de maladie mentale ou des troubles liés à l’utilisation des substances psychoactives. Avec une capacité d’hospitalisation estimée à 120 patients, l’hôpital dont les premières infrastructures remontent à 1904, accueille à ce jour, avec toute la rigueur de l’administration hospitalière de Zébé, entre 165 et 170 patients hospitalisés.

Cette structure est loin d’être un centre de dépôt ou d’internat des « fous » comme le penserait une frange de la population.  Y sont administrés, en accord avec le code de santé publique du Togo, deux catégories de soins: les soins libres et les soins sans consentement.

« Les soins libres concernent les malades qui viennent d’eux-mêmes, un peu comme dans les hôpitaux généraux. Ces soins peuvent aboutir à une hospitalisation libre (HL). Dans ce cas, en accord avec le médecin, le malade est libre de sortir de l’hôpital quand il le désire », explique Docteur SALIFOU Saliou, Médecin-psychiatre, Médecin-chef de l’hôpital de Zébé.

S’agissant des soins sans consentement, il en existe deux catégories : les soins à la demande du tiers et les soins à la demande du représentant de l’Etat (Procureur de la république, Préfet et Maire) encore appelé les soins d’office.

Des unités spécialisées

L’hôpital psychiatrique de Zébé est structuré en unités spécialisées. L’Unité des Urgences Psychiatriques (UUP) est l’unité d’accueil, de mise en observation et de réorientation des malades vers les autres unités. Celle des Malades Difficiles, (UMD) accueille les malades furieux, certains malades admis en hospitalisation d’office et ceux qui ont tendance à fuguer. L’Unité d’Addictologie (UA) accueille les malades souffrant d’une dépendance aux drogues (alcool, cannabis, tramadol, tabac, cocaïne, héroïne etc…). Celle de Soins et de Réinsertion (USR) accueille tous les malades stables des autres unités en attente d’une réinsertion sociale. L’Unité de Psychiatrie Générale accueille tous les autres malades qui ne remplissent pas les critères des autres unités.

Prise en charge des malades : entre démission des parents et difficultés  de réinsertion

Si les formalités d’admission à savoir, l’achat de carnet, de bon de consultation, entre autres, restent les mêmes que celles remplies dans tout hôpital, la prise en charge à l’Hôpital Psychiatrique de Zébé reste spécifique.

De fait, cette prise en charge se fait sans la présence des parents aux côtés du malade. La famille ne vient qu’à des périodes définies pour s’enquérir de l’évolution de l’état de santé de son patient et pour payer les charges liées au traitement. Et ceci, jusqu’au rétablissement total du malade.

Cette spécificité rend souvent difficile la prise en charge des malades dont le coût reste élevé à cause du délai souvent long de stabilisation des malades et du coût élevé des médicaments psychiatriques.

« Vu les exigences du traitement de ses patients qu’il faut nourrir matin, midi et soir en plus des médicaments à leur administrer, nous sommes obligés de les prendre en charge grâce aux subventions de l’Etat qui fait toujours diligence chaque fois que nous sommes dans le besoin », explique Monsieur ISSIFOU Souléymane, Directeur de l’Hôpital Psychiatrique de Zébé.

Les familles ne facilitent pas non plus la tâche à l’hôpital. Le constat fait est celui de l’abandon des patients par leurs proches et familles à la charge de l’hôpital. Ces derniers sont ainsi tentés de considérer cet hôpital spécialisé pour les malades mentaux comme un centre de dépôt avec prise en charge gratuite. Ce qui est tout à fait faux selon les premiers responsables du centre qui expliquent que la maladie mentale se soigne comme toute autre maladie ; et que le malade peut guérir.

Avec cette démission, l’hôpital est confronté aux difficultés de réinsertion des malades guéris. « Nous parvenons à guérir totalement des malades et peinons quelque fois malheureusement à retrouver les parents. Les familles les abandonnent complètement. Il y a aussi de ces cas qui sont hospitalisés d’office et qui sont guéris dont on a aucun repère ou information concernant les familles, et qui sont toujours dans notre hôpital», se plaint le directeur de l’hôpital.

Même si l’hôpital s’est créé des alternatives dont la mise en place d’une unité agropastorale qui permet d’initier les malades guéris aux activités maraîchères et à l’élevage, la réinsertion reste l’un des grands défis après les difficultés de prise en charge.

Halte à la stigmatisation

L’hôpital psychiatrique est souvent victime de stigmatisation. Il est considéré à tort comme un centre de campement de « fous ». Le personnel et les spécialistes de la santé mentale ne sont pas non plus épargnés. Les malades eux-mêmes restent les premières victimes de cette stigmatisation. Une mauvaise perception de l’hôpital qu’il faudrait abandonner.

En effet la maladie mentale se traite et n’est rien de fatal ni un mauvais sort ni une maladie mystique. C’est une maladie tout comme toute autre. Elle n’exige qu’une prise en charge particulière et continue. D’ailleurs, confie le médecin-psychiatre il y a des « malades mentaux stabilisés qui sont aujourd’hui bien réinsérés. Ils ont pour la plupart, retrouvé leur emploi ; que ce soit dans la fonction publique ou en entreprise, et continuent de suivre des soins à l’hôpital de Zébé tout en remplissant leurs tâches sans aucun indicateur de trouble mental ».

Les populations et les familles sont appelées à avoir une autre perception de la maladie mentale et du centre psychiatrique de Zébé. Les familles devraient de même rester solidaires avec leur proche malade. La population tout en entière, les ONG humanitaires et les personnes physiques comme morales devront accorder une attention particulière à ce centre dont le fonctionnement exige assez de moyens.

Un médecin-psychiatre pour plus de 170 patients hospitalisés

Si avec le personnel médical actuel l’hôpital psychiatrique de Zébé parvient à accomplir sa mission, le renforcement en ressources humaines se révèle nécessaire.

De fait, l’hôpital ne dispose que d’un seul médecin spécialiste pour environ 170 patients admis. Ce dernier est aidé dans sa tâche par d’autres personnels soignants dont les Assistants médicaux spécialisés en santé mentale titulaires d’un master en santé mentale.

Et le manque de cette compétence à Zébé est loin d’être un cas particulier. Le Togo ne dispose que de 5 médecins-psychiatres. Un sixième et le premier à se spécialiser dans la psychiatrie des enfants est encore en formation.

Le master santé mentale créé à l’Ecole des Assistants Médicaux (EAM) de l’université de Lomé, est loin de combler le besoin, d’où une nécessité de promouvoir cette spécialité chez les étudiants s’inscrivant dans les facultés des sciences de la santé de l’Université de Lomé et celle de Kara. Il faut dire que la stigmatisation que subit le domaine de la santé mentale (malades et professionnels y compris) et le fait que cette spécialité n’est pas rentable pour le médecin n’encouragent pas les étudiants en médecine à s’y engager.

Ainsi, l’on pourrait pour inciter, offrir des bourses d’études spécifiques aux étudiants qui désireraient se spécialiser en psychiatrie ou leur accorder des facilités pour à court terme résoudre le problème. L’Etat devrait y accorder donc une attention particulière. Les responsables des Facultés de formation devraient aussi motiver davantage les étudiants à se spécialiser en psychiatrie, vu l’importance des maladies mentaux.

De plus, la sensibilisation contre la stigmatisation de la profession de psychiatre devrait se poursuivre pour que les étudiants puissent être assurés d’être valorisés comme leurs collègues d’autres spécialités.

Des besoins à satisfaire pour une prise en charge plus efficace

L’hôpital psychiatrique de Zébé-Aného n’aurait rien à envier à plusieurs centres hospitaliers du Togo. Un tour au centre vous laisse découvrir des bâtiments complètements rénovés, équipés et des services bien structurés en plus d’un personnel administratif et soignant bien constitué. On y retrouve aussi un terrain de jeu, et un jardin entretenu par les malades guéris dont la production est destinée à la cuisine du centre.

Néanmoins le centre nécessite une augmentation de sa capacité d’accueil. En exemple pour 120 lits disponibles, le centre accueille plus de 160 patients. A ce jour, tous les patients hommes, femmes et enfants souffrant de maladie mentale ou des troubles liés à l’utilisation des substances psycho-actives sous traitement sont internés au même endroit, même si les unités sont distinctesles unes des autres. Une situation qui n’est pas sans impacts sur la prise en charge d’une catégorie de malades dont les personnes dépendantes aux drogues qui estiment ne pas être au bon endroit ; ce qui déclenche des fugues et tentatives de fugues.

Il se révèle ainsi nécessaire de pouvoir renforcer l’hôpital en infrastructures pour parvenir à séparer par exemple les femmes et les hommes. Il est aussi nécessaire de créer une unité de pédopsychiatrie. Ce cloisonnement, approuve Dr Salifou, va favoriser une meilleure prise en charge des différents cas de maladies mentales.

De plus, l’hôpital psychiatrique de Zébé nécessite un appui en logistique. L’hôpital manque de moyens roulants pour assurer le replacement en famille des patients, entre autres services.

Un complexe artisanal pour faciliter l’insertion

Pour pallier les problèmes d’insertion des patients guéris, le directeur de l’hôpital psychiatrique de Zébé mise sur la création d’un complexe artisanal.

Une expérience convainc ce dernier. Une formation aux petits métiers dont ont bénéficié récemment les patients, et les activités menées dans le jardin du centre destiné au maraîchage ont permis de relever des impacts positifs. Des confidences à Focus Infos ont relaté le cas de Koffi Kabra (nom d’emprunt), un patient qui sur la base de ses connaissances acquises à travers ses travaux dans le jardin du centre, est devenu aujourd’hui un grand maraîcher avec l’aide de sa famille.

En effet, la mise en place dudit complexe permettra de rééduquer les patients du centre et les aidera à développer une activité génératrice de revenus, une fois de retour dans leurs familles.

La population tout entière, l’Etat et ses partenaires, ainsi que les Organisations humanitaires devraient donc se mobiliser pour donner davantage de possibilités à l’hôpital psychiatrique de Zébé-Aneho.