« Le rapport bénéfice-risque du vaccin AstraZeneca reste excellent »

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Interview : Pr Didier Koumavi Ekouévi, Président du Conseil Scientifique Covid-19

Le Togo a lancé le 10 mars dernier sa campagne de vaccination contre la Covid-19, avec pour première cible le personnel de santé. Alors qu’une seconde phase débute cette semaine avec les personnes de plus de 50 ans et celles ayant moins de 50 ans mais porteuses de comorbidités, la polémique enfle sur la sécurité qu’offre le vaccin du laboratoire AstraZeneca, administré dans notre pays. Plusieurs gouvernements ont décidé de suspendre son administration après des problèmes de coagulation observés chez certains patients. Dans cette interview accordée à Focus Infos, le Président du Conseil scientifique, le Pr Didier Koumavi Ekouévi  fait le point du début de la campagne de vaccination  et rassure  sur la qualité du vaccin AstraZeneca

Focus Infos : Quel bilan faites-vous après la première semaine de campagne de vaccination ?

Didier Koumavi Ekouévi : La campagne a été bien préparée sur plusieurs mois avec de multiples séances de sensibilisation. Les équipes du ministère de la santé ont sillonné toutes les régions pour expliquer l’apport de la vaccination dans le cadre de la riposte contre la Covid-19. De plus, un plan de vaccination a été élaboré et il se décline en micro-plans dans chaque district et commune.

Cette campagne a débuté par un lancement officiel le 10 mars avec la vaccination des personnalités politiques, scientifiques, des partenaires techniques (OMS et UNICEF) en guise d’exemple et dans le but de rassurer la population.

Quelques polémiques ont émergé sur l’absence du port de gant par le vaccinateur, mais vite maitrisées par une communication des autorités sanitaires rappelant que le port de gant pour la vaccination est optionnel. Cette première semaine est globalement satisfaisante, mais une évaluation est nécessaire pour ajuster les éventuels manquements ou insuffisances observés.

F.I : Avez-vous noté une réelle mobilisation des catégories de personnes admises à se faire administrer ces premières doses ?

D.K.E : Nous avons d’abord réalisé un sondage avant la campagne pour avoir une idée de l’hésitation vaccinale au sein du personnel de santé au Togo. Cette étude qui a concerné un échantillon de plus de 1200 professionnels de la santé à travers les six régions sanitaires du pays, a rapporté que 50% des professionnels de santé voulaient se faire vacciner, 30% hésitaient et seulement 20% n’en voulaient pas. A la fin de la campagne, on a senti une forte adhésion du personnel de santé. En effet, les rapports préliminaires reçus des différents directeurs régionaux et préfectoraux laissent présager une bonne adhésion. Cependant, nous n’avons pas encore suffisamment de recul pour annoncer des chiffres exacts de couverture qui doit être supérieure à 80%.

F.I : Pouvez-vous nous rappeler les personnes prioritaires et l’objectif visé par la campagne à court et moyen terme ?

D.K.E : Pour la première phase de cette campagne, elle a commencé avec le personnel de santé. Une grande proportion du personnel de santé Togolais (>80%) a été à priori vacciné, ce qui est une vraie prouesse, comparativement à d’autres pays. En France par exemple, à peine 50% du personnel de santé a été vacciné.

Ensuite, les personnes de 50 ans et plus du Grand Lomé seront concernées par cette première phase. Avec les vaccins actuellement disponibles, il faut s’attendre à vacciner 40 000 à 45 0000 personnes de 50 ans et plus dans le Grand Lomé, ce qui constituera un véritable défi. Un bilan de la campagne chez le personnel soignant permettra certainement de faire des ajustements et d’améliorer la planification faite.

Pour la deuxième phase, il est prévu, de vacciner des personnes avec des comorbidités (HTA, diabète, pathologie cardiaque, tumorale, pulmonaire), les forces de défense et de sécurité. L’objectif final est de couvrir 60% de la population. En attendant d’atteindre cet objectif, le respect des gestes barrières reste d’actualité. J’insiste sur cette approche combinée qui associe, le respect des gestes barrières, la vaccination et le dépistage précoce au moindre signe en lien avec la Covid-19 (toux fièvre, céphalées ou fatigue inexpliquée). Le vaccin vient compléter les autres stratégies existantes et non les remplacer.

F.I : Certains pays européens ont suspendu l’administration du vaccin AstraZeneca. Le Togo va-t-il adopter le même principe de précautions ?

D.K.E : Je vais d’abord exposer les faits et ensuite donner la réponse. Le 11 mars 2021, le Danemark a décidé de suspendre provisoirement la vaccination avec le vaccin du laboratoire AstraZeneca à cause des problèmes de coagulation (formation de caillots) observés chez certains patients. Il a été suivi par un certain nombre de pays notamment la Norvège, la Finlande et l’Islande.

Quatre autres pays européens, l’Estonie, la Lituanie, la Lettonie et le Luxembourg, ont dans la foulée suspendu les vaccinations avec des doses provenant d’un lot de vaccins, livré dans 17 pays et qui comprenait un million de vaccins. Au total en Europe, il s’agit de 50 cas de troubles de la coagulation rapportés sur plus de 5 millions de personnes vaccinées soit un cas de thrombose pour 100 000 personnes vaccinées.

La suspension provisoire a été faite dans le cadre de ce qu’on appelle un principe de précaution initié dans des situations de risque potentiellement graves et/ou irréversibles pour la santé, notamment lorsqu’il existe des incertitudes importantes concernant l’impact sur la population.

En pratique, devant un signal, il faut évaluer le signal et ensuite prendre une décision. Mais dans le cas présent, la décision semble être prise alors que l’évaluation est encore en cours. On parle de signal quand le nombre de cas d’un événement (ici la thrombose) est nettement supérieur à ce qui est attendu dans la population générale. D’après les données disponibles, ce n’est actuellement pas le cas.  Même en l’absence de vaccination, on s’attend à observer un certain nombre de cas de thromboses dans la population.

Pour en avoir le cœur net, les spécialistes de la pharmacovigilance doivent reprendre les dossiers de ces 50 patients qui ont des complications thromboemboliques, voir les traitements qui ont été associés au vaccin pour déterminer s’il y a éventuellement d’autres causes possibles. Il faut mettre en place une démarche rigoureuse avant de pouvoir tirer des conclusions.

En ce qui concerne le Togo, pour le moment, nous continuons notre campagne de vaccination comme c’est le cas en Angleterre, en Côte d’Ivoire, en France au Ghana, et au Maroc avec le vaccin AstraZenca. Pour rappel, le Maroc a vacciné quatre (4) millions de personnes avec le vaccin du laboratoire AstraZeneca et aucun problème n’a été signalé. De plus aucun cas de thrombose n’a été rapporté après avoir consulté les collègues de la sous-région (Nigeria, Ghana, Côte d’Ivoire). Nous avons aussi nos réalités et nous collectons nos données. C’est ce que nous appelons de la pharmacovigilance (la surveillance des effets secondaires après une vaccination ou après la prise de médicaments).

Malgré les craintes suscitées par les décisions prises par certains pays de suspendre provisoirement la vaccination par le vaccin du laboratoire AstraZeneca, le rapport bénéfice-risque du vaccin reste excellent. Il permet de réduire les décès, les formes graves de la maladie et les hospitalisations.

F.I : Pouvez-vous assurer aux Togolais que le vaccin en cours d’administration offre toutes les garanties de sécurité ?

D.K.E : A ce jour, 13 mars 2021, au vu des données disponibles, basées sur les études réalisées, sur les expériences de terrain, avec plus de 11 millions de personnes vaccinées en Angleterre, 5 millions en Union européenne, 4 millions au Maroc, et quelques centaines de milliers en Afrique de l’Ouest, les bénéfices l’emportent largement sur le risque.

Les vaccins font l’objet d’une surveillance rigoureuse et tout effet secondaire doit être déclaré pour identifier un éventuel signal. C’est la raison pour laquelle le gouvernement togolais a lancé ce samedi 13 mars 2021 une étude flash pour documenter les premiers effets secondaires observés chez les professionnels de la santé, et les résultats seront disponibles très rapidement.

Je me suis fait vacciner le mercredi 10 mars, cela veut dire que je crois aux bienfaits du vaccin pour aider à contrôler la pandémie. Trois jours après le début de la campagne, nous n’observons que des effets secondaires mineurs qui sont d’ailleurs des effets attendus, mais le recueil des données continue.

Au moindre problème, notre rôle est de le signaler et éventuellement de faire arrêter la vaccination, mais nous ne sommes pas à ce stade.