Ministère de l’Eau et de l’Hydraulique villageoise : les opaques pratiques de Bolidja Tiem

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Il y a les lois de la République, auxquelles tous sont soumis, en principe. Et il y a des lois que des « autoproclamés » puissants, alléguant une proximité particulière avec le Chef de l’Etat, créent ex nihilo, sûrs de leur fait et convaincus de l’impunité. De fait, ils s’asseyent allègrement sur les règles communes obligatoires et font de leur administration, une zone de non droit, si ce n’est celui de leur bon vouloir. Sur cette liste peu enviable des dirigeants qui n’ont cure de la légalité et des balises, trône en bonne place le ministre de l’Eau et de l’Hydraulique villageoise. Connu pour gérer son portefeuille comme une boutique de quartier, il ne s’embarrasse guère non plus des textes régissant la commande publique. La dernière illustration est les conditions opaques dans lesquelles son ministère a attribué, sur ses instructions personnelles fermes, le marché portant sur l’organisation de la table ronde nationale de mobilisation des ressources et des parties prenantes pour la mise en œuvre de la Stratégie d’Approvisionnement en eau potable au Togo.

Pour la mise en œuvre de la Stratégie d’Approvisionnement en eau potable au Togo ( AEP TOGO)  2021-2030, le gouvernement a décidé d’organiser une table ronde de mobilisation des ressources et des parties prenantes. A travers le ministère de l’Eau et de l’Hydraulique villageoise, il a obtenu des fonds  de l’Agence française de développement (AFD) pour cette initiative. Outre le financement du recrutement de l’assistante au maître d’ouvrage (AMO), une partie des fonds est destinée à recruter une agence de communication  pour l’organisation de la table ronde afin de donner un trait particulier à l’événement et accroître  ainsi  les chances d’un succès pour une mobilisation massive des financements de la Stratégie d’AEP TOGO.

De fait, une invitation à soumissionner a été lancée le 26 septembre à 4 agences de communication. Elle les instruisait à présenter leurs propositions sous pli fermé et précisait que parmi les présélectionnées,  l’agence sera choisie par comparaison des devis joints et au moins disant. Fixée une première fois au 04 octobre, elle sera reportée une première fois au 11 du même mois, afin de préciser certaines dispositions des TDR qui paraissaient incomplètes et imprécises, suscitant des questions complémentaires d’un des soumissionnaires.

Après avoir transmis un addendum et un nouveau devis aux agences présélectionnées, le ministère indiquera que la date  de dépôt des propositions est finalement fixée au 12 octobre 2022 à 9 h 30 mn au secrétariat de Personne Responsable des Marchés Publics, précisant que  l’ouverture aura lieu le même jour à 10 h à la salle de réunion du Ministère.

A la date et heure indiquées, seule une agence déposera son offre. A l’heure prévue de l’ouverture des plis, curieusement et prétextant un problème de calendrier, le préposé reportera sine die l’ouverture, indiquant qu’une nouvelle date sera fixée ultérieurement. Ce sera finalement  48 heures plus tard. Sur les 4, seules 3 agences ont soumissionné. Le moins disant proposait une offre financière d’environ 10 millions de moins que le suivant. Le préposé donnait rendez-vous au 18 octobre pour les corrections de chiffres éventuels et la suite de la procédure.

Depuis cette date, le ministère n’a envoyé aucune notification, ni donné quelque nouvelle ou suite  sur le marché à l’entreprise la moins disant, en dépit  des  multiples relances.

De fait, c’est avec surprise que celle-ci découvre le 1er décembre dernier,  l’ouverture des travaux de la table-ronde nationale de mobilisation des ressources et des parties prenantes pour la mise en œuvre de la Stratégie d’Approvisionnement en eau potable au Togo, par le Premier ministre, Mme Victoire DOGBE. Renseignements pris, il s’agit bel et bien de l’évènement pour lequel une consultation restreinte  avait été effectuée.  De bonnes sources nous ont soutenu que c’est Bolidja TIEM  lui-même qui a donné des instructions fermes pour fausser le jeu du marché et  l’attribuer à l’agence qui l’a exécuté. Malgré les avis divergents et les protestations émises par son staff. « Ici, c’est moi qui commande. C’est moi aussi qui fais les règles . Que les autres agences ne soient pas contentes, peu m’importe. Que peuvent-elles me faire, rien ! » se serait-il exclamé devant l’insistance d’un de ses collaborateurs.

Que disent les textes ?

Il faut savoir que la procédure des marchés publics prévoit la  consultation restreinte qui est une consultation qui met en concurrence seuls les candidats que l’autorité contractante a décidé de consulter. En 2021, elles  ont  par exemple représenté 2,1% du nombre total de procédures déroulées soit 31 procédures de consultations restreintes sur un total de 1467. En valeur monétaire,  ça représente 1 137 664 915 F CFA sur un total de 221727625263 F CFA.

Le recours à une consultation restreinte est possible lorsque les fournitures, les travaux ou les services de part  leur nature spécialisée, ne sont disponibles qu’auprès d’un nombre limité de fournisseurs, d’entrepreneurs ou de prestataires de service. Dans ce cas, tous les candidats potentiels doivent être invités et le recours à ce mode de passation est soumis à l’autorisation de la Direction nationale du contrôle des marchés publics (DNCCP).

La procédure, dans le cadre d’une consultation restreinte, consiste à l’envoi d’une lettre d’invitation à présenter une offre, adressée par l’autorité contractante simultanément aux candidats qu’elle aura choisi, accompagnée du dossier d’appel à la concurrence et des documents complémentaires, le cas échéant. Il est ensuite procédé comme en matière d’appel d’offres ouvert, à savoir, ouverture des plis, évaluation des offres, désignation d’un attributaire provisoire, observation du délai de recours, attribution définitive.

Les possibilités de recours pour une consultation restreinte sont les mêmes que celles d’un appel d’offres ouvert, notamment le recours préalable devant la personne responsable des marchés publics. Ce recours peut porter sur l’établissement de la liste restreinte, au cas où un candidat estimerait qu’il dispose des qualifications pour figurer sur cette liste.

Les décisions rendues par la PRMP peuvent être contestées devant le Comité de règlement des différends (CRD). Lorsque le requérant n’est pas satisfait de la décision rendue par le CRD, il peut la contester devant la chambre administrative de la Cour d’appel et ainsi de suite jusqu’à la chambre administrative de la Cour suprême qui tranche en dernier recours. Les décisions rendues par cette dernière instance sont sans recours.

Conformément à l’article 37 de loi n° 2021-33 relative aux marchés publics, les candidats et soumissionnaires peuvent exercer leurs recours devant la PRMP dans les conditions suivantes:

– Un candidat peut exercer un recours contre la procédure de passation d’un marché public au plus tôt à compter de la date de publication de l’avis d’appel à concurrence et au plus tard dans un délai de dix (10) jours calendaires précédant la date limite prévue pour le dépôt des offres ou des propositions ;

– Le recours d’un soumissionnaire contre les résultats de l’évaluation des offres ou propositions est exercé dans un délai de sept (07) jours calendaires à compter de la date de notification des résultats ;

– La PRMP dispose d’un délai de cinq (05) jours ouvrables à compter de la date.

Les décisions rendues par la PRMP peuvent faire l’objet de recours devant le Comité de règlement des différends (CRD) de l’ARCOP dans un délai de trois (03) jours ouvrables à compter de la date de sa notification.

Dès réception du recours, le CRD examine sa recevabilité et en cas d’affirmatif, ordonne dans un délai de cinq (05) jours ouvrables à compter de la date de sa saisine, la suspension de la procédure de passation du marché. Le CRD rend sa décision sur le fond dans un délai de sept (07) jours calendaires à compter de la date de réception de la documentation utile à l’instruction du recours ou quinze jours calendaires en cas de nécessité d’investigation.

Les décisions du CRD sont immédiatement exécutoires. Au regard de ces dispositions, le caractère vicié de la passation de marché effectuée par Bolidja TIEM est patent. Au surplus, l’absence de notification a privé les intéressés d’un éventuel recours. Mais il semble que violer les textes d’attribution des marchés, souvent  au profit  d’étrangers et l’assumer, est chez notre ministre, une seconde nature.