Litige foncier à Bè-Kpota Atchantimé : Titre foncier contre reçus de vente

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Une maison d’occupant expulsé

A quelques jours de Nöel, entre déception de l’imposition d’un couvre-feu et préparatifs, les Loméens se sont  passionnés pour un fait divers, révélé par la presse et abondamment relayé et commenté sur les réseaux sociaux. Il s’agit de l’expulsion d’«occupants illégaux » dans le quartier de Bè-Kpota Atchantimé. Si ce déguerpissement a suscité autant d’intérêt, alors qu’il est somme toute banale et qu’il se passe régulièrement, c’est parce que selon la rumeur, l’initiatrice de la procédure serait une Allemande qui réclamerait son droit de propriété sur tout un quartier, hérité de son grand-père. Quel est l’objet du litige ? Qui sont les protagonistes et où en est la procédure ? Dossier exclusif de FOCUS INFOS.

La parcelle de 3 hectares objet du litige était un terrain agricole et toute la zone une forêt. Au lendemain de l’indépendance, elle va connaître avec l’expansion urbaine, un certain développement amenant plusieurs familles à s’y installer. Conséquence : occupation progressive du site  avec la construction des habitations.

Au soutien de ses prétentions,  Amanda Guérard, présente essentiellement deux éléments.

D’abord, le Journal Officiel du 21 septembre 1949 avec publication de l’Avis de demande d’immatriculation au livre foncier du territoire du Togo de  la parcelle d’une contenance superficielle de 3 ha 53a 71ca fut acquise en 1949 par Benno  Kentzler,  auprès de la collectivité Hotounou et libellée comme suit : « Suivant réquisition n°1.752, déposé le 19 septembre 1949, Me Anani Ignacio Santos, né à Lomé (Togo), le 3 février 1912 profession d’Avocat-défenseur, demeurant et domicilié à Lomé, agissant en qualité de mandataire spécial aux termes d’une procuration notariée n°108 reçu par Me Louis Gaétan, Notaire à Lomé, en date du 20 juillet 1949, enregistrée, dont une expédition est jointe à la réquisition d’immatriculation du sieur Benno Kentzler, agent de commerce, demeurant et domicilié à Lomé (Togo), demande l’immatriculation du livre foncier du Territoire du Togo d’un immeuble rural non bâti, constituant en terrain en forme de quadrilatère irrégulier, d’une contenance total de 2 ha, 90 a, 35 ca situé à Lomé (Tokoin) cercle de Lomé et borné à l’Est par Hotounou, au Nord par Tamadémé, à l’Ouest par Hotounou, et au Sud par la route circulaire. Il déclare que ledit immeuble appartient audit sieur Benno Kentzler, son mandat, et n’est à sa connaissance, grevé d’aucun droit ou charges réels, actuels ou éventuels ».  (J.O, page 6).

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Ensuite, le titre foncier N° 7614 RT créé le 02 mars 1967 à la suite d’une procédure d’opposition à immatriculation close le 23 septembre 1966.
«  Ces pièces  prouvent à suffisance nos droits sur cette parcelle, notamment le titre foncier qui confère à son titulaire un droit irrévocable, est un document inattaquable, s’imposant à tous », commente Amanda Guérard.

Reçus de vente :  

Les contradicteurs et occupants de la parcelle objet du litige brandissent quant à eux des reçus de vente datant des années 70 pour soutenir leurs prétentions de propriété. De fait, nous avons pu avoir consulter les reçus de vente établis par les sieurs Mevagnawo et Kofi Hotounou,  respectivement aux familles Broohm Salomon,  Abbey Têvi Antoine, et à Afanou Kossi, Akakpo Ayao,  Mensah Kpalaka Logossou et Piganki Soumou. Au total une quarantaine de familles concernées pour des ventes réalisées entre 73 et 76 pour des prix variant entre 70 et 150.000 FCFA.

« Ces reçus prouvent que nos grands-parents ont bel et bien acquis ces parcelles de bonne foi», soutient Ayi Ajavon un des héritiers et occupant des lieux. « Mon  défunt parent a multiplié les tentatives d’obtention de titre foncier sans succès.  Chaque fois il a été  confronté à des blocages sans en connaître  les motifs », confie-t-il.

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Pour Mme Guérard, les motifs sont évidents : ces reçus de vente datant de 73-76  ne peuvent faire foi et servir à créer de titre foncier sur un terrain acquis par quelqu’un depuis 1949 et pour lequel un titre foncier a été établi en 1967, donc plus de 6 ans avant la vente présumée.

Décisions judiciaires en faveur des héritiers Kentzler  

Par  jugement  n° 213  du 29 juillet 1966, le tribunal de Lomé avait   définitivement tranché les oppositions à immatriculation. 23 ans plus tard, le président dudit tribunal, par ordonnance n° 819 du 17 octobre  1989, ordonne l’expulsion des occupants du titre foncier 7614. En  2006 le  jugement n°696/2006 du 14 avril 2006 confirme le droit de propriété des héritiers  Kentzler, ordonne l’expulsion des occupants demandeurs à l’instance et les condamne au paiement de dommages et intérêts.

De fait, des sommations de déguerpir ont été signifiées aux familles sans succès. En novembre 2019, Armanda Guérard  obtient  réquisition du Procureur de la République Près le Tribunal de Première Instance de Lomé :  « Vu la grosse du jugement N°696/2006 du 14 avril 2006 rendu par le tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé dans l’affaire opposant Dame Fafadji Frieda Marie Guerard née Kentzler aux nommés HILLAH Ayoko, AGBADA Gibéloki, BODGNONDI Boudoum et autres, tous demeurant et domiciliés à Lomé ; vu la demande d’assistance de la force publique de l’huissier susdit du 8 novembre 2019 (…) Requiert monsieur le Directeur général de la Gendarmerie Nationale, à l’effet, de mettre vingt-cinq (25) agents à la disposition de Maître AKUESON Adokoé, huissier de justice à Lomé, pour l’assister dans l’exécution de la grosse du jugement N°696/2006 du 14 avril rendu par le Tribunal de Première Instance de Première Classe de Lomé » peut-on lire dans le document signé  par le  Procureur de la république Essolissam. Notifiée aux occupants en janvier 2020, elle ne sera mise à   exécution que  le 10 décembre 2020.

Pendant ce temps, la vingtaine de familles concernées assistée de leur conseil Me Kossi Bokodjin,  ont introduit à la Cour d’Appel de Lomé, le 12 septembre 2020, une requête aux fins  de sursis à exécution de la réquisition du Procureur.

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La décision de la Cour  était attendue le 30 novembre 2020.  Mais elle a été  renvoyée au 6 janvier 2021 puis au 22 du même mois. « Vu que l’affaire n’est pas tranchée, Mme Guérard ne peut expulser personne dans le quartier », proteste Ayi Ajavon.

Où sont passés les Hotounou ?

Au cœur du litige foncier, la famille Hotounou, cédante des parcelles, reste curieusement absente et muette.  D’après les deux parties, elle est introuvable.

« Nous avons à plusieurs reprises entrepris des démarches aux fins de rencontrer les descendeurs  des vendeurs mais sans succès. Aucun moyen  d’entrer en contact avec eux », déplore Ayi AJAVON.  

Pour lui, «seuls eux peuvent nous renseigner sur ce qui s’est réellement passé. Car tout ceci a l’air d’une double  vente », conclut AJAVON.

En attendant, plusieurs familles visiblement convaincues de l’issue défavorable du bras  de fer mené avec les héritiers de Benno  Kentzler, sont entrés en négociation avec leur mandataire.

Une dizaine parmi elles ont ainsi débuté des échéanciers. Initiative qui n’a pas l’air de plaire à certains jusqu’au-boutistes, qui les menaceraient de mort.