Opérationnel depuis janvier 2018, le centre d’enfouissement technique (CET) d’Aképé, malgré sa contribution à l’amélioration du cadre de vie dans la ville de Lomé, constitue un risque pour les populations riveraines et pour l’environnement.
Le calvaire des riverains
L’enfouissement des déchets au CET d’Aképé n’est pas sans impact sur les riverains malgré une bande de sécurité de 200 mètres définie autour du centre et sa construction dans des normes environnementales requises. De fait, des plaintes sont fréquemment émises par les populations des villages Idavé, Atidjin, Vogomé et de Wougomé par rapport à la qualité de l’air qui se dégrade avec les travaux du Centre. Pour eux, c’est plus qu’un calvaire.
« Nous vivons un calvaire ici surtout en période de pluies et à certaines périodes données. Tu peux rester dans ta chambre et avoir du mal à respirer l’air. L’odeur est très nauséabonde et nous ne savons que faire », se lamente Jacob Atal, un riverain.
« Il y a des moments où l’on accueille des déchets frais et surtout en saison pluvieuse. S’il advient qu’on n’arrive pas à enfouir et à couvrir rapidement, les odeurs peuvent persister et être transportées un peu loin par le vent », confesse le directeur d’exploitation du CET, Brice Amanah.
Selon ce dernier, l’on ne peut éviter les odeurs en période d’activité sur le site. « En termes de relation sociale, la vraie difficulté, c’est qu’au moment des activités sur le site, l’on ne peut pas éviter les odeurs. Si les odeurs persistent au-delà de cette période, c’est qu’il y a du souci ; mais la plupart du temps, les odeurs ressenties sont dans la marge de la période de vidage et de compactage. Après le compactage, il y a juste 30min et puis c’est fini », explique-t-il.
De fait, la décomposition des déchets dégage des gaz difficiles à inhaler pour les riverains. Selon diverses études scientifiques, l’on recense divers polluants atmosphériques issus des centres d’enfouissement des déchets. Il s’agit entre autres du méthane, du dioxyde de carbone, de l’azote, et des microorganismes. La contamination de l’air par ces gaz peut causer chez l’homme des maladies comme des rhinites, des conjonctives, des rhino-pharyngites non infectieuses mais irritatives ou allergiques, des allergies cutanées, des toux chroniques, de l’anxiété, des syndromes dépressifs et des céphalées.
En plus des maladies, les riverains sont exposés à des nuisances olfactives, visuelles et auditives avec les bruits émis par les camions qui viennent décharger les déchets sur le site.
Au-delà, les riverains et les populations situés sur l’itinéraire des camions transportant ces déchets sont exposés aux risques d’accidents, malgré les efforts de sensibilisation.
« Ce sont presque 70 à 100 camions qui déchargeaient sur le site d’Agoenyivé qui sont désormais amenés à rallier le nouveau site et avec l’exiguïté de la nationale N°5, le risque d’accident est un peu plus élevé en cas de défaillance ou de mauvaise conduite d’un chauffeur. Nous avons pu faire un travail de sensibilisation et de contrôle strict avec le concours des riverains en plus de l’installation des dos d’ânes sur la voie d’accès ; ce qui a amélioré la situation», confie M. Nabola-bounou Enoumodji, Chef division de la Propriété du District du Grand Lomé.
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La présence des habitations à proximité du site reste aussi un risque majeur d’exposition. Ainsi, la construction du centre d’enfouissement technique peut constituer un problème de santé publique si l’on ne définit pas à temps des mesures d’accompagnement ou de suivi des risques.
Au-delà des riverains, les agents qui opèrent sur le site d’Aképé sont aussi exposés avec leur proximité aux déchets. De fait, beaucoup d’entre eux ainsi que les conducteurs de camions qui viennent déverser les déchets ne portent pas des équipements de protections et de sécurité adaptés.
Ainsi, les entreprises exploitantes, et le district de Lomé doivent veiller à maintenir un dialogue permanent avec les populations riveraines et à revoir au besoin le Plan de Gestion Environnementale et Sociale du projet afin de gérer d’éventuelles plaintes et doléances.
Des risques environnementaux majeurs
La construction du centre d’enfouissement technique d’Aképé selon les normes environnementales requises ne peut être synonyme d’absence de risques liés à son exploitation. De toute évidence, les déchets peuvent provoquer la pollution ou la contamination des eaux souterraines en cas de défauts d’étanchéité.
« En termes de risques environnementaux, l’on peut craindre peut-être des fuites ou des infiltrations dans le sol au cas où un travail aurait été mal fait ; et normalement un CET a des outils pour mesurer et détecter les fuites et les réparer », indique Edem d’Almeida, expert en gestion de déchets.
La décomposition des déchets engendrant la production du biogaz, les risques d’incendie ou d’explosion restent élevés sur le Centre.
«Nos matériaux d’installation sont en grande partie des plastiques et donc un départ de feu sur le centre se révèle très dangereux. C’est pourquoi les feux sont interdits sur le site et nous avions aussi mis en place un dispositif pour pouvoir gérer des incendies au cas où ils se déclenchaient», explique le directeur d’exploitation du centre Brice Amanah.
En fonction de la qualité des déchets, l’on peut aussi craindre selon des spécialistes, la migration des métaux lourds dans le sol en cas d’infiltration.
Ainsi, le district de Lomé doit jouer son rôle au quotidien de maitre d’ouvrage afin de veiller à minimiser les risques. De même, le ministère de l’environnement doit jouer sa partition en termes de respect des normes environnementales en vigueur au Togo pour éviter tout risque de catastrophe ou d’accident sur le site d’enfouissement technique.
Pas que du « noir »
Si la mise en place du CET présente des risques environnementaux et des problèmes de santé publique que l’on peut craindre, elle comporte aussi des avantages. En effet, la construction de ce centre a permis d’améliorer considérablement le cadre de vie de la ville de Lomé. L’on note entre autres, la disparition de plusieurs dépotoirs sauvages et un renforcement du mécanisme de gestion de déchets.
« Avec le centre d’enfouissement, nous sommes parvenus à éliminer beaucoup de dépotoirs sauvages et à faire aussi des réajustements dans la filière de pré-collecte et de collecte de déchets. Il faut juste que l’on observe objectivement certains quartiers ou dépotoirs intermédiaires avant et après l’opérationnalisation du centre. Il y a des avancées ou des résultats positifs à retenir en termes de salubrité de la ville de Lomé », soutient le Chef projet du CET, Kodjo N. Enoumodji.
« Quand l’ancienne décharge était saturée et qu’il n’y avait pas encore le Centre, il y avait des dépotoirs sauvages parce que les gens ne savaient où déverser les déchets. Maintenant avec le CET et la prise en charge des coûts par la mairie, les dépotoirs sauvages ont tendance à disparaître. Près de 80% de dépotoirs ont disparu et cela est perceptible dans la ville », soutient Maréva Matar de l’AFD.
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L’installation du CET a aussi permis la construction d’une rue bitumée de 3,1 kilomètres facilitant le déplacement des populations riveraines vers le centre-ville. Cette ouverture constitue de fait un facteur de développement socio-économique.
« Après l’aménagement de la voie menant au centre, beaucoup de maisons ont été construites dans les environs et même des boutiques se créent déjà le long de la rue. C’est dire que la construction du Centre constitue d’une manière ou d’une autre un atout de développement pour les communautés environnantes », signale le directeur de l’exploitation du site.
Le district de Lomé prévoit la construction dans les prochains jours des infrastructures sanitaires et socio-collectives pour le bien-être des communautés environnantes.
Le CET d’Aképé constitue un modèle sous-régional en termes de qualité des infrastructures et du respect des normes environnementales mais aussi en matière d’ingénierie de gestion.
« L’AFD travaille depuis des années avec la ville de Lomé sur la gestion de déchets et dans le contexte particulier du CET, le district de Lomé dispose des expertises et des expériences qui peuvent être partagées avec d’autres communes et villes de la sous-région. Même si tout n’est pas encore parfait, Lomé est aujourd’hui un exemple et a beaucoup de bonnes pratiques à montrer aux autres villes », se félicite, Maréva Matar, directrice Adjointe AFD-Togo.
En seulement deux ans et demi d’exploitation, le Centre a déjà accueilli des acteurs de la gestion des déchets d’autres pays qui viennent apprendre du CET de Lomé. L’on énumère des acteurs et autorités venus de la Guinée, du Madagascar, du Tchad, et du Mali. De quoi renforcer le statut de modèle dont peut se prévaloir la ville de Lomé.
La construction du CET d’Aképé a également favorisé l’émergence de l’entreprise GER (Grande Entreprise Routière) comme nouvel acteur africain de la gestion des déchets, ainsi que la création d’une centaine d’emplois, accompagnée d’un plan de formation et de transfert de compétences.
Sur plan environnemental, le district a entamé le reboisement du périmètre de sécurité (200 mètres de rayon) défini autour du Centre. L’objectif étant de restaurer la biodiversité et créer une ceinture verte autour du centre. Une visite au centre permet de découvrir la fonction d’abri que joue celui-ci pour plusieurs espèces animales, notamment les oiseaux.